Certaines lois relatives à la gérance des produits imposent aux détaillants de reprendre certains produits en vue de leur recyclage. Une recherche récente indique cependant que cette stratégie peut fort bien être contreproductive.
Article paru dans Resource recycling sous la plume de Carl Smith
En théorie, la gérance des produits contraint chaque personne impliquée dans le cycle de vie d’un produit à être responsable de la réduction de son impact sur l’environnement, du fabricant au consommateur, en passant par le vendeur. Pour les détaillants, cela signifie ne pas ménager leur peine pour collecter les produits qu’ils vendent.
Dans le domaine des piles et des batteries, certaines sphères de compétence américaines ont fait avancer cette idée d’un cran et ont adopté des lois qui obligent les détaillants qui vendent des piles et des batteries à les collecter également en vue de leur recyclage. Mais ces lois permettent-elles vraiment à cette obligation d’atteindre son but et de hausser globalement la collecte des piles et des batteries?
Appel à Recycler, Inc. est le principal organisme de gérance des produits pour la collecte et le recyclage des piles et des batteries usagées partout au Canada et aux États-Unis depuis 20 ans; une analyse effectuée récemment par cet organisme révèle que l’obligation de collecter les piles et les batteries imposée aux détaillants ne fait pas toujours bouger l’aiguille du compteur des collectes. Cette recherche démontre qu’obliger les détaillants qui vendent des piles et des batteries à les collecter également augmente peu les collectes ou l’accessibilité pour les consommateurs. À vrai dire, il se peut que cette initiative nuise aux collectes, en sapant apparemment la motivation des détaillants pour la promotion du recyclage des piles et des batteries et en haussant les coûts à la charge du programme.
Les chiffres en un coup d’œil
À l’heure actuelle, deux États américains, la Californie (2006) et New York (2010) obligent les détaillants à collecter les piles et les batteries rechargeables en vue de leur recyclage. La Ville de New York les y obligeait également de 2005 à 2010, avant l’entrée en vigueur de la loi de l’État.
Des programmes de collecte volontaire des piles et des batteries rechargeables étaient en place dans ces trois sphères de compétence avant l’entrée en vigueur des lois la rendant obligatoire. Quand cette obligation a été imposée, le nombre de détaillants participant au programme Appel à RecyclerMD a augmenté immédiatement, comme le montre la figure 1.
Ces nouvelles inscriptions ne se sont pourtant pas traduites en hausse des collectes, comme le montre la figure 2. Le total des collectes aux États-Unis (ligne verte supérieure) a effectivement augmenté à une vitesse supérieure à celui des collectes au sein des sphères de compétence qui imposent aux détaillants de reprendre les piles et les batteries usagées, particulièrement dans la Ville de New York et dans l’État de New York.
Les détaillants qui se sont inscrits au programme Appel à RecyclerMD avant l’obligation de collecter les piles et les batteries représentaient approximativement entre 82 et 93 pour cent des collectes de piles et de batteries dans ces sphères de compétence. Ces détaillants s’étaient déjà engagés à collecter les piles et les batteries usagées. Les détaillants qui se sont inscrits au programme quand la collecte des piles et des batteries usagées est devenue obligatoire ne représentaient que 7 à 18 pour cent des collectes.
Comme il fallait s’y attendre, 62 à 78 pour cent des détaillants qui ont été obligés de s’inscrire au programme Appel à RecyclerMD n’ont pas expédié de piles et de batteries usagées depuis leur inscription. En d’autres termes, ces nouveaux participants se sont inscrits au programme par obligation, mais sans y participer véritablement.
L’accessibilité est la clé de la réussite
Pourquoi l’inscription de nouveaux détaillants n’augmente-t-elle pas le recyclage? La réponse est liée à la question de l’accessibilité, soit la mesure dans laquelle le recyclage des piles et des batteries est à la disposition du plus grand nombre possible de gens. Le but d’Appel à RecyclerMD consiste à parvenir à ce que 95 pour cent de la population réside dans un rayon de 10 miles (16,1 kilomètres) d’un point de dépôt accessible au public.
La majorité des points de dépôt se concentrent dans les zones suburbaines/urbaines. Les taux de collecte y sont également plus élevés. Les détaillants sont déjà fortement présents dans ces zones, parce que les magasins ont tendance à se regrouper dans les centres à forte densité de population. L’inscription de nouveaux détaillants fait donc peu évoluer le volume des collectes ou l’accessibilité. Comme les consommateurs ont déjà accès à des points de dépôt dans ces zones, l’inscription de nouveaux détaillants ne hausse pas les collectes de piles et de batteries en vue de leur recyclage, parce que ce service leur est déjà offert.
Un bon exemple de ce phénomène se constate dans l’État de New York. Avant l’imposition de cette obligation, 97 pour cent de sa population vivait dans un rayon de 10 miles (16,1 kilomètres) d’un point de dépôt accessible au public. Quand ces collectes par les détaillants sont devenues obligatoires, la hausse de l’accessibilité a été négligeable, soit 0,9 pour cent. Le même phénomène s’est produit en Californie où, avant cette obligation, 98 pour cent de sa population vivait dans un rayon de 10 miles (16,1 kilomètres) d’un point de dépôt accessible au public; son taux d’accessibilité a augmenté de 0,4 pour cent après l’entrée en vigueur de la loi. Au bout du compte, l’inscription de nouveaux détaillants n’a pas affecté l’accessibilité pour les consommateurs dans ces deux États.
En revanche, cette obligation imposée aux détaillants s’est répercutée de façon négative sur les coûts du programme Appel à RecyclerMD. Pendant ces trois dernières années, Appel à Recycler, Inc. a dépensé plus de 150 000 dollars – soit 3 pour cent de ses coûts directs d’exploitation – pour des boîtes immobilisées (non retournées) et pour des frais d’expédition pour des détaillants inscrits, mais passifs, dans ces deux États. Ce chiffre ne tient pas compte des frais généraux relatifs à l’administration, la formation et le marketing visant à promouvoir ces collectes obligatoires. Un programme de reprise imposé aux détaillants à l’échelle nationale pourrait coûter près de 1 million de dollars en boîtes immobilisées et en frais d’expédition.
L’expérience de la Colombie-Britannique
Le programme de recyclage des piles et des batteries de la Colombie-Britannique démontre que les règlements relatifs à la gérance des piles et des batteries peuvent être couronnés de succès sans imposer aux détaillants de collecter ces produits. Depuis l’entrée en vigueur de cette réglementation en 2010, la Colombie-Britannique a constaté une hausse de 400 pour cent de la participation des détaillants et un taux de collecte de 23 pour cent pendant les 3 années suivantes. De plus, les taux de participation sont trois fois supérieurs à ceux des États où les collectes sont obligatoires pour les détaillants. Récapitulons : en Colombie-Britannique, où les points de dépôt ne sont pas obligatoires, les détaillants se sont inscrits volontairement pour participer aux collectes et les résultats de ce système sont très positifs.
Un nombre suffisant de grands et de petits détaillants au Canada et aux États-Unis veulent servir de points de dépôt. Les détaillants participent volontairement à ce programme pour trois raisons :
- hausse de l’achalandage et des ventes. De nombreux détaillants savent d’expérience que les programmes de reprise augmentent l’achalandage de leurs magasins et les ventes. La recherche d’Appel à RecyclerMD confirme ce résultat;
- développement durable. De nombreuses entreprises de vente au détail mettent maintenant en œuvre des programmes de développement durable. Ce programme de recyclage leur permet de tenir fermement cet engagement;
- perceptions et attentes des consommateurs. Un plus grand nombre de consommateurs sont conscients de l’impact de leurs décisions d’achat sur l’environnement. Grâce aux opérations de promotion des grandes surfaces, les consommateurs s’attendent maintenant à pouvoir recycler leurs piles et leurs batteries où ils les achètent, surtout dans les magasins de vente au détail d’appareils électroniques et d’outils électriques.
La contrainte ne donne aucun résultat
L’obligation de collecter les piles et les batteries rechargeables imposée aux détaillants augmente les frais généraux sans augmenter les collectes. À l’heure actuelle, le matériel de collecte doit être envoyé aux détaillants passifs dans les États où ces collectes sont obligatoires, ce qui hausse le coût par livre de produits collectés. De plus, cette obligation peut saper l’intérêt des détaillants pour la promotion du recyclage.
En imposant la participation des détaillants aux collectes, on renonce à présenter le recyclage sous la forme d’un service unique à valeur ajoutée et on réduit la motivation pour l’investissement dans l’information du public et la promotion du recyclage. Des programmes comme Appel à RecyclerMD s’appuient sur l’intérêt des détaillants pour les promotions pour utiliser au mieux le budget d’un programme de sensibilisation. Enfin, dans les systèmes où les collectes sont obligatoires, il se peut que les détaillants commencent à percevoir leur personne-ressource en gérance des produits comme un employé d’un service de réglementation et non pas comme un partenaire.
Appel à RecyclerMD a compris que l’empreinte idéale des collectes s’appuie sur les détaillants qui souhaitent y participer, que ce soit pour attirer progressivement plus de clients à leurs magasins ou pour promouvoir leur réputation d’entreprise pratiquant le développement durable. Les programmes de reprise volontaires motivent les détaillants qui le souhaitent à y participer pour offrir un service à leurs clients et pour contribuer à l’utilisation plus efficiente et efficace des ressources limitées du programme auquel ils participent.
Alors qu’un plus grand nombre de programmes de gérance des produits se mettent en place partout au Canada et aux États-Unis et cherchent à se diversifier et à collecter un éventail plus large de produits, les administrateurs et les secteurs industriels seraient bien inspirés de limiter le recours aux programmes obligatoires pour les détaillants. L’optimisation de l’efficience au niveau des points de collecte pourrait faire toute la différence entre la réussite et l’échec pour de nombreux programmes de gérance de produits. Notre recherche démontre que, pour les piles et les batteries rechargeables du moins, les collectes obligatoires pour les détaillants constituent un mauvais choix.
Carl Smith est le président-directeur général d’Appel à Recycler, Inc. On peut communiquer avec lui à l’adresse [email protected].
FEB